Il est possible de bien percevoir la force des marées à travers une théorie ancienne, désormais considérée comme peu crédible, mais qui figurait en bonne place dans les ouvrages d’astronomie sur « l’origine des planètes (par) une collision ou (par) un effet de marée entre le Soleil et un autre astre. Ainsi, l’Anglais James Jeans (1877-1946) voyait dans la naissance des planètes la conséquence du passage d’une étoile à proximité du Soleil. Celle-ci aurait arraché au Soleil une langue de matière qui, par la suite, se serait fragmentée en morceaux d’où seraient issues les planètes, les plus grosses d’entre elles (Jupiter et Saturne) se formant dans la région la plus épaisse de la langue, ce qui expliquerait qu’on les rencontre au milieu du système solaire » (Boisseau, 1877, p. 22). Dans le même ordre d’idée, mais à une toute autre échelle, toujours au XIXe siècle, il avait été envisagé que l’existence de la Lune pouvait provenir de matière terrestre arrachée, dans le Pacifique, par la seule force des marées à cause de l’attraction d’un astre indéterminé, peut-être une très vaste comète, temporairement très proche de la Terre. C’est plus la faible probabilité d’une existence passée des conjonctions requises que le manque de force de l’attraction gravitationnelle qui ont conduit à l’abandon de ces deux théories.
La proximité de deux corps célestes peut en fait avoir plusieurs conséquences. Nous savons tous ce qu’il advient des météorites s’approchant trop près de la Terre ; de même, les récits de chutes, sur notre planète, toujours escomptées dans les océans ou dans les milieux désertiques, de petits débris métalliques ou de vastes satellites artificiels ne manquent pas. Nous avons aussi appris que le déplacement des astres peut être modifié (changement de trajectoire, ralentissement de la révolution,…) lors de leur passage à proximité d’une planète ou d’une comète. Et le troisième cas de figure est tout aussi connu des amateurs d’astronomie : une comète, un astéroïde, ou même une volumineuse planète, peuvent être captés par le champ de gravité d’un astre de plus grande masse totale. La Lune, aussi ancienne que la Terre, aurait ainsi été captée pour devenir un satellite, selon la théorie traditionnellement admise au XXe siècle, mais pratiquement abandonnée au XXIe siècle, et que les modèles mathématiques n’étaient d’ailleurs jamais correctement parvenus à modéliser. Un quatrième cas de figure est presque ignoré : s’ils se rapprochent trop près l’un de l’autre, un satellite et sa planète sont alors soumis à de grandes déformations. Ces déformations, qui concernent modestement la Terre sont appelées des « marées ». Les marées ne se limitent donc pas à des variations du niveau de l’eau des océans. Les marées continentales existent puisque « la déviation des verticales, sous l’action de la Lune ou du Soleil, entraîne, pour le géoïde (surface de niveau définie par la condition d’embrasser un volume égal à celui du globe), une légère déformation qui, d’une sphère par exemple, ferait un ellipsoïde de révolution, allongé dans la direction de l’astre » (Lallemand, 1909, p. 474). Un calcul théorique, considérant la Terre comme un ellipsoïde (sans tenir compte du bourrelet équatorial) donnerait une amplitude « de 54 cm pour la marée statique lunaire, 24 cm pour la marée solaire » (Coulomb, 1952, p. 180).
Nous avons tous été davantage fascinés par Saturne que par les autres planètes de notre système solaire. C’est une planète bien étrange, en particulier à cause de sa légèreté : elle pourrait flotter sur l’eau. Intéressons nous à ses célèbres anneaux constitués de cristaux de glace et de poussières (comme la dizaine d’anneaux d’Uranus et certainement comme ceux de Neptune) et de cailloux. Le cas de Saturne permet de mieux percevoir l’ampleur de déformation des forces d’attraction engendrées par la gravitation. En deçà d’une distance critique, fixée, en 1848, par Édouard Roche (1820-1883), professeur à la Faculté des Sciences de Montpellier, à 2,44 fois la taille du rayon équatorial, les déformations produites conduisent non pas à la chute directe et rapide du satellite sur sa planète, mais à son éclatement. L’origine des anneaux de Saturne proviendrait de la pulvérisation d’un ou de plusieurs satellites. D’ailleurs, il se formera « un magnifique anneau supplémentaire quand Triton se brisera en une multitude de petits cailloux en pénétrant dans la limite de Roche de Neptune, dans un peu moins de 100 millions d’années » (Brahic, 1999, p. 634). Dans le même ordre d’idée, il a été évoqué que les bombardements intensifs de la Lune, il y a 3,9 milliards d’années, « pourraient être dus à la dislocation tardive par impactisme ou effet de marées de proto-planètes croisant l’orbite terrestre et lunaire » (Cabrol & Grin, 1998, p. 96). Plus un satellite s’approche de l’astre autour duquel il tourne et plus les déformations, liées à la trop courte distance, sont exacerbées. « Cette attraction, étant conjuguée avec la rotation synchrone de la Lune, produit un bourrelet équatorial sur le géoïde terrestre de 1 km d’épaisseur. Si la Lune était plus proche de la Terre, cette déformation atteindrait une valeur critique qui disloquerait la Lune » (Cabrol & Grin, 1998, p. 73). Soyons rassurés : dans cette merveilleuse mécanique céleste, la Lune s’éloigne de la Terre de trois centimètres par an.
Bibliographie :
- BOISSEAU Yves et al, 1977, L’univers en couleur, Paris, Larousse, 133 p.
- BRAHIC André, « Neptune », 1999, in Dictionnaire d’astronomie, Paris, Encyclopædia Universalis & Albin Michel, 628-637.
- CABROL Nathalie, GRIN Edmond, 1998, La Terre et la Lune, Paris, PUF, Que sais-je ? 126 p.
- COULOMB Jean, 1952, La constitution physique de la Terre, Paris, Albin Michel, 284 p.
- LALLEMAND Charles, 1909, « Sur les marées théoriques du géoïde, dans l’hypothèse d’une absolue rigidité de la Terre », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, Institut de France, tome CIL, 474-475.